La buée sur les vitres
Maman cuisinait dans une cuisine surchauffée, oubliait de longs moments des casseroles d'eau sur le gaz, dans lesquels bouillonnaient poissons, légumes divers ou macaronis qui n'en finissaient pas de glouglouter dans une eau qui devenait un peu glauque.
Les odeurs s'infiltraient dans cette cuisine submergée de fumée et inmanquablement la buée à son tour venait se coller aux vitres. Le dehors était devenu invisible, j'avais beau scrutter encore et encore, les vitres devenaient de plus en plus opaques. Je suffoquais.
J'avais quatre ans je crois...
Un jour de cuisine à grande eau bouillonnante, m'approchant de la vitre j'y ai posé le doigt. Le doigt s'est mis à tracer religieusement, la première lettre de mon prénom... Oh merveille ! la lettre s'y imprimait docile sur la vitre toute embuée. A côté, j'y ai tracé, plus grande encore, la deuxième lettre, puis la troisième, un peu hésitante mais correcte. Puis le prénom tout entier, puis quelques fleurettes, puis une maison dont la cheminée fumait joyeusement, puis un grand bonhomme soleil, puis...
Soudain un cri : Shanna ! que fais-tu là ? mon doigt se fige...
Mais malheureuse, j'ai fait les vitres hier matin, elles sont toutes sales maintenant... Mon doigt rentre tout penaud dans la poche de mon petit tablier et je regarde la vitre perplexe...
Pourquoi elle disait que c'était sale Maman ?
Moi je ne les voyais pas sales, au contraire, mais embellies des fleurs et du soleil, et puis j'y avais tracé des lettres... mon premier mot... ma première écriture...